Survivante du génocide des Tutsis au Rwanda, Félicité Lyamukuru. Photo: TRT français (Others)

Alors qu'on commémore les 30 ans du génocide des Tutsis au Rwanda, il est essentiel de se rappeler les événements tragiques qui ont marqué cette période sombre de l'histoire. Pour comprendre les racines et les conséquences de cette atrocité, TRT Français a rencontré une femme rescapée.

Félicité Lyamukuru, survivante du génocide, formatrice et accompagnatrice pour les projets de mémoire, livre un témoignage bouleversant, revenant sur les origines du conflit, les souvenirs douloureux, et l'impact dévastateur sur les femmes et la société rwandaise dans son ensemble.

Les prémices du génocide : une histoire de divisions sociales

Félicité Lyamukuru remonte aux origines du génocide pour expliquer que celui-ci ne s'est pas déclenché du jour au lendemain, mais qu'il était le résultat de tensions longtemps nourries au sein de la société rwandaise. Elle explique : "Un génocide ne se déclenche pas comme ça.

Le Rwanda avait trois classes sociales, Tutsi, Hutu et Twa. C'était des classes sociales tout à fait mobiles, perméables, mais la colonisation belge va figer ces classes en ethnies et instaure une carte d’identité." Cette hiérarchisation des individus a favorisé la stigmatisation dans les décennies qui ont suivi.

Il y a eu plusieurs vagues de massacres avant que ne soit perpétuée l’hécatombe d’avril 1994. Félicité Lyamukuru explique que le travail était préparé. “Un génocide, ça se prépare”, avec en toile de fond un processus de racialisation contribuant à identifier un ennemi à tuer et à éliminer, insiste-t-elle.

Le traumatisme de la violence et de la discrimination

En tant que rescapée, Félicité évoque les souvenirs douloureux qui hantent son esprit depuis cette période sombre. "Les souvenirs que j'en garde sont énormes", confie-t-elle à TRT Français.

Elle décrit une enfance marquée par la discrimination et la stigmatisation, où elle a été confrontée à la réalité de son identité ethnique dès son plus jeune âge. C’est à l’école primaire, notamment, que Félicité se rend compte qu’elle est différente.

“C'est là que j'apprends que je suis Tutsi. On demande aux élèves de se lever selon leur “ethnie” en classe. Je ne savais pas si j’étais Tutsi ou Hutu. Quand je vois toute la classe qui se lève, je me lève aussi. C’est alors que le professeur me donne un coup sur la tête en me disant “tu t'assieds et tu poses la question à tes parents qui tu es parce que tu n'es pas Hutu”. C'est déjà le premier des chocs que vous recevez en tant qu'enfant”, raconte la rescapée de l’horreur.

C'est en 1994, à l'âge de 16 ans, qu'elle perd tragiquement sa famille dans les massacres. "Je vois ma mère, mes trois sœurs et tous les amis, les voisins assassinés", se remémore-t-elle avec émotion. Avec son frère, elle est survivante d'une famille de sept enfants. “Mon père, ma mère et mes cinq frères et sœurs sont assassinés. J'arrive à échapper avec mon frère qui n'était pas à la maison lors du massacre”, se souvient-t-elle... Tous les Tutsis de cette localité ont été pourchassés, assassinés et très peu ont survécu.

Le viol comme arme génocidaire

Félicité souligne également l'impact particulièrement dévastateur du génocide sur les femmes Tutsis. "La femme Tutsi est diabolisée", explique-t-elle, "et en 94, il va y avoir une autre arme fatale, c'est de violer les femmes Tutsies, les mères."Elle raconte ainsi la violence inouïe infligée aux femmes, victimes de viols et d'agressions sexuelles dans le but de les détruire physiquement et psychologiquement et confie que les agresseurs organisaient également l’inoculation du virus du VIH.

“Les femmes Tutsies vont être vraiment meurtries, violentées à un niveau que parfois je ne sais pas comment exprimer. J'ai eu la chance de n'avoir pas été violée. Il fallait non seulement tuer mais aussi écraser, faire mal, et puis aller dans la matrice de la femme car c’est elle qui donne naissance aux Tutsis, donc il faut tout détruire. Elles ont subi des supplices sans nom”.

La reconstruction après l’enfer

Après avoir survécu à l'horreur du génocide, Félicité a dû reconstruire sa vie en Belgique, où elle a fondé une famille. “D'abord, vous vous dites je vais peut-être me réveiller de mes cauchemars. Mais finalement, c'est quand même la réalité et vous vivez avec ça tous les jours”, explique-t-elle.

Elle partage les défis auxquels elle a été confrontée dans ce processus de reconstruction, notamment la manière dont elle aborde le sujet avec ses enfants. Elle a dû leur expliquer pourquoi ils n’avaient pas de grands-parents, ni de famille, par exemple. "Vous vous posez déjà la question de comment est-ce que je parle de ça à mes enfants", confie-t-elle, soulignant l'importance de l'éducation pour prévenir de telles atrocités à l'avenir.

Un appel à la vigilance contre les discours de haine

Face à la montée de l'extrême droite en Europe et à la banalisation des discours de haine, Félicité lance un appel à la population et aux politiques. Elle rappelle l'importance de s'opposer fermement à la propagation de la haine et du nationalisme, soulignant que "la haine tue avant tout". Malgré le désespoir qu'elle ressent parfois face à l'ignorance et à l'indifférence, elle exhorte à garder espoir et à lutter pour un monde plus juste et plus inclusif.

TRT Francais