Boualem Sansal annonce son retour à Paris : l'extrême-droite lui déroule le tapis rouge

Libéré après une année de détention en Algérie, l'écrivain Boualem Sansal a annoncé son retour à Paris et promet de "tout raconter". Ses soutiens d’extrême-droite en France se frottent les mains et préparent une nouvelle croisade contre l’Algérie.

By Samir Hamma
Boualem Sansal a été gracié par le président algérien et est arrivé en Allemagne

Une grâce présidentielle inattendue et une équation à plusieurs inconnues : c'est ainsi qu’on pourrait schématiser la libération surprenante de l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal. Emprisonné depuis un an et condamné à cinq ans de prison ferme pour atteinte à l’unité nationale, sa remise en liberté est survenue après une demande officielle du président allemand, Frank-Walter Steinmeier, à son homologue algérien Abdelmadjid Tebboune. 

Dans une lettre adressée au chef de l’État algérien, le président allemand avait invoqué la santé fragile de l’auteur pour demander un geste humanitaire afin qu’il puisse être transféré en Allemagne pour y être soigné. Ce geste diplomatique laisse un goût amer en France, notamment à l'extrême-droite de l'échiquier qui y voit une humiliation volontaire d’Alger.  

Cette affaire dépasse en effet le cas de Boualem Sansal. Elle agit comme un révélateur brutal des relations algéro-françaises, des agendas géopolitiques et des complexités de la justice algérienne. Elle expose, en filigrane, une crise profonde qui n’est pas en en voie de règlement. 

“Une crise algéro-française qui laisse des traces indélébiles”

Dans une interview accordée à TRT Français, l’historien Benjamin Stora, spécialiste de l’Algérie, analyse la situation avec lucidité. Pour lui, cette séquence est symptomatique d’une relation bilatérale exsangue. "La crise entre l’Algérie et la France va laisser des séquelles indélébiles", estime-t-il sans détour.

L’arrestation de Sansal était en effet perçue comme un message fort envoyé à Paris. Un moyen de pression. Une démonstration de force. Sa libération, obtenue par Berlin et non par Paris, en dit long sur l’état des liens entre les deux pays. Elle illustre l’impossibilité du dialogue franco-algérien.

"La France était dans l’impossibilité d’intervenir directement, note Stora. Le contentieux historique est trop lourd. La relation est trop dégradée". Le pouvoir algérien a ainsi pu satisfaire une puissance européenne sans avoir à céder aux demandes françaises, souvent perçues comme empreintes de néocolonialisme. Un jeu d'échecs géopolitique où l'écrivain était un pion.

"Je ne vais pas être détruit par une petite année de prison"

À peine libéré après son année d’incarcération en Algérie, l’écrivain franco-algérien a accordé un entretien téléphonique à son ami, l’auteur Kamel Daoud. Dans cet entretien retranscrit dans les colonnes du magazine Le Point, il exprime un certain détachement. Débarqué en Allemagne où il est hospitalisé, il annonce d’emblée son retour imminent à Paris.

Dès ses premières déclarations, l’auteur se montre en effet stoïque, presque provocateur : "Je vais plutôt bien, je suis costaud. Je ne vais pas être détruit par une petite année de prison”. Mais derrière cette carapace, il lève un coin du voile sur “l’isolement culturel" subi -et accessoirement son rejet obsessionnel de l’islam- : privé d’écriture et de lecture, il n’aurait eu accès qu’à des "livres de religion ou en arabe. C’est tout ce qu’il y a là-bas", a-t-il affirmé. 

S’il était coupé du monde, il était malgré tout au courant des mobilisations pour sa libération en France, sentant un changement dans son régime carcéral. Promettant de “tout raconter plus tard”, il se montre combatif et lance un message sans équivoque. "De tout ce que tu m’as raconté, est-ce que tu veux que j’écrive une phrase précise?", lui demande ainsi Kamel Daoud. "Tu dis: “Bonjour la France, Boualem revient. On va gagner!”. Mais qui va gagner ? 

Tout en tempérant ses propos, il esquisse une analyse géopolitique de sa libération, obtenue via la médiation allemande. Il exprime un "bon espoir" que les relations entre la France et l’Algérie pourront "évoluer grâce à l’Allemagne", évoquant une "jonction astrale" dans les négociations. Son retour sonne comme la reprise d’un combat, avec une conviction, semble-t-il, intacte.

Le cas Sansal, un symbole ambigu

Boualem Sansal n’est pas un dissident ordinaire. C’est avant tout une figure controversée. Son œuvre littéraire est saluée quasi exclusivement par les responsables politiques et intellectuels d’extrême-droite. Ses prises de position publiques l’ont effectivement rapproché des réseaux réactionnaires et néo-coloniaux français.

Il défend depuis longtemps des thèses ouvertement islamophobes et a glorifié le passif colonial français. Il a participé à des colloques aux côtés de figures identitaires. L'écrivain entretient même des liens avérés avec des cercles israéliens. Il a en effet participé à des événements en Israël et a rencontré secrètement en 2012 le ministre israélien des finances. Ses positions sur l'islam lui ont valu des accusations légitimes d’islamophobie. Ces éléments expliquent les réactions mitigées à sa libération.

Cette dimension est essentielle pour comprendre les soutiens qu’il a mobilisés en Europe. Sa libération est célébrée par la droite et l'extrême droite françaises ainsi que par les réseaux pro-israéliens. De Marine Le Pen à Éric Zemmour, en passant par Bernard Henri-Lévy, les réactions se sont bousculées pour saluer une victoire pour la "liberté d’expression".

La gauche, elle, est restée plus mesurée. Embarrassée par le profil idéologique de l’homme, elle a globalement salué sa libération tout en rappelant que la méthode brutale à l’encontre de l’Algérie privilégiée par l’ex-ministre de l'intérieur Bruno Retailleau "a été totalement contre-productive", comme le souligne Olivier Faure, le Premier secrétaire du Parti Socialiste. 

Entre réalisme diplomatique et opacité judiciaire

La gestion de ce dossier par Alger montre sa détermination à traiter ces questions selon ses propres critères. Le pays affirme sa souveraineté judiciaire tout en tenant compte des réalités diplomatiques. La libération de Sansal s'inscrit de surcroît dans un contexte régional complexe. L'Algérie mène une lutte active contre ses rivaux régionaux et la propagation du terrorisme au Sahel. Elle doit par conséquent composer avec ses partenaires internationaux. 

La libération de Boualem Sansal résulte en définitive d'une situation diplomatique complexe en coulisse. L'Algérie a souhaité montrer sa capacité à dialoguer avec ses partenaires européens. Elle a aussi affirmé son droit à juger ses affaires internes selon sa législation. Elle doit naviguer entre relations internationales fluctuantes et stabilité intérieure vacillante. La libération de Sansal est un épisode de cette navigation délicate.

La demande allemande a par ailleurs offert une issue honorable au gouvernement algérien. Un moyen de libérer un prisonnier encombrant sans se soumettre à la France.

La mobilisation générale en Europe en faveur de la libération de Boualem Sansal s’inscrit ainsi dans une dynamique impérialiste où l'Occident collectif choisit ses héros et martyrs, issus du sud global, uniquement s’ils servent leurs agenda et se préoccupe peu du sort des populations au final.