France: la lutte contre le terrorisme met la justice et les libertés à rude épreuve

La lutte contre le terrorisme en France, dans la foulée des attentats du Bataclan de novembre 2015, semble avoir rogné l’espace démocratique, fragilisé la justice et les libertés individuelles tout en renforçant l’agenda de l’extrême droite.

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Des soldats français de l'opération Sentinelle sécurisent les abords du lycée Notre-Dame-de-Toutes-Aides, Nantes, le 24 avril 2025. REUTERS/S Mahe

Les attentats du 13 novembre 2015 au Bataclan et sur les terrasses de Paris ont profondément marqué l’imaginaire collectif français avec ses 131 morts et 400 blessés !  François Hollande d’abord, et Emmanuel Macron ensuite, ont répondu par une politique de fermeté, avec des mesures d'exception, unanimement saluées, au nom de la sécurité des Français et de la préservation de la République. 

La France est en guerre. Les actes commis vendredi soir à Paris (13 novembre 2015, NDLR) et près du Stade de France sont des actes de guerre”, lançait dans une rare rhétorique guerrière François Hollande au Parlement français réuni en congrès en cette circonstance exceptionnelle.

Mais derrière ce consensus contre la menace terroriste, se cachent des calculs politiques, le plus souvent au détriment de l’Etat de droit, des libertés individuelles et de la cohésion nationale.

 L'État d’urgence instauré  (14 novembre 2015- 17 novembre 2017, NDLR) dans la foulée des attentats du Bataclan a considérablement renforcé le pouvoir des autorités civiles au détriment des autorités judiciaires et entravé les libertés individuelles.

Selon un bilan du ministère français de l’Intérieur, du 14 novembre 2015 au 1er novembre 2017, l’état d’urgence a abouti à la fermeture de 19 lieux de cultes (mosquées, NDLR), 4469 perquisitions administratives et 754 assignations à résidence. 

“Etranger, musulman et terroriste”

Cette guerre antiterroriste s’est accompagnée d’amalgames caractéristiques de l'extrême droite, faisant des musulmans ou de certains étrangers des terroristes en puissance, dénoncent des magistrats français.

“La stigmatisation arbitraire de centaines de personnes perquisitionnées ou assignées à résidence – et dont l’existence personnelle, familiale et professionnelle se trouve ainsi bouleversée –, au seul motif de leur appartenance, réelle ou supposée, à une mouvance islamiste ou de leur origine, ne peut qu’alimenter un profond sentiment d’injustice et de stigmatisation. Un sentiment qui s’enracine non seulement chez ces personnes, mais aussi dans leur entourage et [...] chez tous ceux qui s’estiment [...] membres de la communauté ainsi stigmatisée”, s’insurge le Syndicat de la magistrature français dans un rapport du 26 janvier 2016.

“Comment ne pas voir qu’une telle répression arbitraire et incontrôlée constitue un puissant facteur de radicalisation de cette jeunesse en déshérence qui constitue le cœur de cible des organisations criminelles ?”, s’interrogent les magistrats français. 

“Loin de contribuer à la lutte contre la criminalité terroriste, l’état d’urgence tend au contraire à en amoindrir sensiblement l’efficacité”, avertissent les hommes de loi.

Le même constat de stigmatisation ressort des résultats d’une étude du Centre de recherches et d’études sur les droits fondamentaux (Credof) de l'université de Paris Nanterre citée par le média Orient XXI.

“Le profil type des personnes visées par ces mesures exceptionnelles est sans surprise : celui d’un homme musulman, soupçonné par l’administration d’appartenir à la mouvance de l’islam radical”. D’après le Credof, “il est frappant de constater la référence au salafisme ou à une radicalisation, pour motiver une mesure, sans que davantage de précisions soient apportées par l’administration quant au courant salafiste ou à la pratique en question”.


Déjà 14 000 déchéances de nationalité 

Au 5 août 2025, révèle Le Figaro, 64 étrangers inscrits au fichier de signalement pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste ont été expulsés de France, d'après le préfet des Hauts-de-Seine, Alexandre Brugère, qui appliquait à la règle les consignes de Bruno Retailleau, l’ancien ministre de l'Intérieur. 

En plus des expulsions, le préfet des Hauts-de-Seine, rapporte le média en ligne Bladi, a aussi procédé à 52 rétrogradations de titres de séjour (réduction de sa durée de validité), ainsi qu’à 98 retraits ou refus de titres au cours des six premiers mois de 2025, ce qui représente des hausses respectives de 79 % et 16 % par rapport à la même période de 2024. “C’est un combat que nous devons mener pour garantir la sécurité de nos compatriotes”, affirme Alexandre Brugère.

L’État français utilise également la déchéance de nationalité pour pouvoir éloigner des bi-nationaux impliqués dans des actes de terrorisme ou liés à des projets terroristes. Quatorze personnes ont été déchues de leur nationalité entre janvier et août 2025. Elles étaient 41 en 2024 et environ 90 depuis 2015. Toutes ont été condamnées pour des actes de terrorisme.

“Banalisation de l'exception”

En outre, de nombreux juristes français dénoncent ce qu’il considèrent comme “la normalisation de l'état d'exception” dans la vie publique, au nom de la lutte antiterroriste. Les pouvoirs des autorités de police administrative se renforcent et se banalisent du fait de l’état d’exception, au nom de la sécurité des Français.

Dans le quotidien, cela se traduit par la baisse des libertés individuelles. Les “lois anti-casseurs”ou “contre l’apologie du terrorisme” participent de cette logique, selon la juriste Stéphanie Hennette-Vauchez, directrice du Centre de recherches et d’études sur les droits fondamentaux (Credof) et auteure de l’essai “La Démocratie en état d’urgence. Quand l’exception devient permanente”.

Ainsi, critiquer la politique israélienne à Gaza ou montrer sa sympathie pour la cause palestinienne en France est susceptible d'être considéré comme un délit passible de poursuites judiciaires. 

En avril 2024, Mathilde Penot et Rima Hassan de LFI avaient été convoquées à la police judiciaire pour “apologie du terrorisme”, en raison des propos liés à la crise à Gaza. La justice reprochait à Rima Hassan de considérer l’action du Hamas comme des “actes de résistance” alors que Mathilde Penot était convoquée pour avoir en 2024 qualifié la situation à Gaza de “génocide”. Ces procédures ont depuis lors été classées sans suite.

Tout compte fait, les défenseurs des droits humains déplorent le recul du pouvoir judiciaire et des libertés individuelles, sous couvert de la lutte contre le terrorisme. 

L'extrême droite et la droite française ont réussi à imposer le terrorisme, l’islamophobie et la xénophobie comme des sujets prépondérants de l’agenda politique en France. Avec l'accélération du calendrier électoral : municipales en 2026 et présidentielle en 2027, ces sujets reviennent au centre des débats politiques, reléguant ceux sur le pouvoir d’achat à la périphérie. 

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