La DGSI renouvelle son contrat avec l’entreprise Palantir: la souveraineté numérique compromise ?

La DGSI a renouvelé pour 3 ans son contrat avec Palantir, entreprise américaine d’analyse de données financée par la CIA et partenaire de l’armée israélienne, suscitant des interrogations sur la souveraineté numérique.

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En janvier 2024, Palantir a annoncé avoir conclu un “partenariat stratégique” avec le ministère israélien de la Défense. / Reuters

La Direction des services de renseignement français  (DGSI) a renouvelé pour une durée de trois ans son contrat avec l’entreprise américaine Palantir, spécialisée dans l’analyse de données à grande échelle.

Ce partenariat, engagé depuis 2015, porte sur l’utilisation de logiciels destinés à l’exploitation et au croisement de données dans le cadre des missions de renseignement.

Fondée en 2003 par plusieurs entrepreneurs, dont Alex Karp et l’investisseur américain Peter Thiel, l’entreprise qui a bénéficié du financement de la CIA, développe notamment des plateformes logicielles utilisées par des services de sécurité, des institutions publiques et des entreprises privées dans plusieurs pays.

Accès aux données

La collaboration entre la DGSI et Palantir a débuté en 2015, à la suite des attentats du 13 novembre en France. Les services de renseignement avaient alors recherché des solutions logicielles rapidement opérationnelles pour améliorer l’analyse de grandes quantités de données.

Ce contrat, initialement présenté comme temporaire, a été renouvelé à plusieurs reprises, notamment en 2019 et en 2022, avant ce nouvel engagement de trois ans qui inscrit ainsi la relation contractuelle entre la DGSI et Palantir dans la durée.

Le recours à une entreprise américaine, qui plus est financée par la CIA, pour des missions de renseignement soulève des interrogations juridiques et politiques, en particulier concernant l’application du “Cloud Act”, une loi américaine adoptée en 2018. 

Ce texte permet aux autorités des États-Unis d’exiger l’accès à des données détenues par des entreprises américaines, y compris lorsque ces données sont hébergées à l’étranger.

La question de la sécurité des informations se pose également dans la mesure où Palantir travaille avec de nombreux clients institutionnels, y compris des services de sécurité et de renseignement étrangers.

Le choix de la DGSI installe durablement le renseignement intérieur français dans une dépendance technologique à un logiciel étranger pour le traitement de données hautement sensibles. 

Le renouvellement est interprété comme un renoncement à la souveraineté technologique, jugé inédit pour une fonction régalienne, et souligne le contraste avec d’autres puissances qui refusent d’externaliser leurs outils de renseignement. 

En contraste, la Suisse a refusé à plusieurs reprises le logiciel Palantir, malgré un lobbying intense et une forte présence de l’entreprise à Zurich.

Après une évaluation approfondie, les autorités suisses avaient jugé que le risque ne venait pas des performances, mais du contrôle des données, étant donné qu’en tant qu’entreprise américaine, Palantir pourrait être soumise au droit américain et à des demandes d’accès aux données. 

Les risques de perte de souveraineté numérique, de dépendance technologique et d’accès incertain aux données sensibles ont été jugés inacceptables, faisant de ce refus un signal politique majeur sur la maîtrise des données stratégiques.

Le rôle de Palantir à Gaza

Depuis le début de la guerre génocidaire menée par Israël à Gaza, plusieurs éléments indiquent une implication accrue de Palantir dans les opérations israéliennes de renseignement.

Palantir est implantée en Israël depuis 2015, avec des bureaux à Tel-Aviv. Le pays constitue un marché stratégique pour l’entreprise, tant pour ses activités civiles que sécuritaires.

En janvier 2024, Palantir a annoncé avoir conclu un “partenariat stratégique” avec le ministère israélien de la Défense. L’accord a été rendu public de manière discrète et n’a pas fait l’objet de communications détaillées sur son contenu exact ni sur son périmètre opérationnel.

Toujours en 2024, le conseil d’administration de Palantir s’est réuni en Israël pour sa première réunion de l’année, quelques mois après le début du génocide. Ce déplacement a été présenté par l’entreprise comme un geste de soutien envers le pays.

Selon plusieurs enquêtes de presse, dont des informations publiées par le média américain The Nation, Palantir fournit à l’armée israélienne et aux agences de renseignement du pays des outils permettant d’améliorer leurs capacités d’analyse, de ciblage et de planification opérationnelle.

Ces outils seraient utilisés dans le cadre du génocide menée à Gaza depuis octobre 2023. The Nation évoque notamment des “capacités de ciblage avancées” fournies par Palantir, intégrées aux systèmes existants de l’armée israélienne.

Depuis plusieurs années, et plus encore depuis octobre 2023, l’armée israélienne a renforcé son recours à l’intelligence artificielle dans la conduite de ses opérations.  

L’armée israélienne utilise notamment un système baptisé “Habsora” (“L’Évangile”), présenté comme capable de générer automatiquement des cibles à partir de grandes quantités de données.

Si Palantir n’est pas à l’origine de ce système, ses logiciels sont décrits comme venant renforcer l’exploitation et le croisement de données issues de différentes sources, contribuant ainsi aux processus décisionnels militaires.

Un directeur pro-israélien

Selon les informations disponibles, les outils fournis par Palantir ne se limiteraient pas à l’identification de cibles. Ils permettraient également l’analyse de données opérationnelles pour la planification des déploiements militaires, l’aide à la coordination des forces spéciales, et l’optimisation des mouvements et du transport des troupes sur le terrain.

Dans le cadre de l’accord signé en janvier 2024, Palantir aurait également vendu à Israël un accès à son Artificial Intelligence Platform (AIP), un système présenté par l’entreprise comme capable d’assister les décideurs dans l’élaboration de scénarios et de plans d’action à partir de données complexes.

Le directeur général de Palantir, Alex Karp, est en outre un grand soutien d’Israël. Dans une tribune publiée dans le New York Times, il a dénoncé ce qu’il considère comme des “doubles standards” dans les critiques visant la collaboration de Palantir avec Israël, en comparaison avec celle menée avec l’Ukraine.

Lors d’une conférence en mai dernier, interpellé par des manifestants l’accusant de fournir des outils utilisés contre des Palestiniens, il avait répondu : “Oui, des terroristes”.