81e anniversaire du massacre de Thiaroye au Sénégal

Nouvelle commémoration du massacre de Thiaroye au Sénégal. Le 1er décembre 1944, des tirailleurs africains ont été massacrés par l’armée française pour laquelle ils avaient combattu pendant quatre années parce qu'ils réclamaient leurs soldes.

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L'Etat sénégalais a organisé une commémoration du massacre de Thiaroye pour la première fois en 2024 / Reuters

La seconde commémoration du massacre de Thiaroye par le Sénégal se tiendra cette année en présence du président gambien Adama Barrow.
Cet événement s’inscrit dans la volonté du Sénégal de rétablir la vérité historique sur ce drame longtemps occulté par la France.

Au matin du 1er décembre 1944, au camp militaire de Thiaroye, situé non loin de la capitale sénégalaise Dakar, des troupes coloniales et des gendarmes français ont tiré sur ordre d'officiers de l'armée française sur des tirailleurs rapatriés après avoir combattu pour l'armée française en Europe lors de la Seconde Guerre mondiale.

Les quelque 1 300 tirailleurs rassemblés au camp de Thiaroye — d'ex-prisonniers de guerre des Allemands qui avaient participé aux combats de 1940 — avaient embarqué en France début novembre 1944 pour être renvoyés en bateau à Dakar. Deux semaines après leur arrivée au camp, ils se révoltent contre le retard du paiement de leurs arriérés de soldes, certains refusant de rentrer dans leurs pays et foyers sans être payés.

Ces tirailleurs étaient originaires de plusieurs pays ouest-africains (Sénégal, Côte d'Ivoire, Guinée, Haute-Volta — devenue aujourd'hui le Burkina Faso). 

Un travail d’historiens pour rétablir les faits

Le Sénégal a entamé un vaste travail de mémoire pour éclaircir les événements de Thiaroye. Des recherches archéologiques sur le site du massacre ont été lancées en mai 2025 et une commission d’historiens a remis un livre blanc au président sénégalais en octobre dernier. Les conclusions des historiens sont claires : ce massacre a été prémédité.

La tuerie "devait convaincre que l'ordre colonial ne pouvait être écorné par les effets émancipateurs de la [Seconde] guerre" mondiale sur les colonisés, affirme le comité de chercheurs auteurs de ce Livre blanc. C'est "la raison pour laquelle l'opération a été préméditée, minutieusement programmée et exécutée [...] dans des actions coordonnées."

"Dans les jours qui ont suivi le massacre, les autorités françaises ont tout fait pour [le] camoufler, elles ont modifié les registres de départ de Morlaix [port de départ en France] et d'arrivée à Dakar, le nombre de soldats présents à Thiaroye, les causes du rassemblement des tirailleurs...", affirme le rapport.

Selon le bilan des autorités coloniales françaises à l'époque, au moins 35 tirailleurs avaient été tués par des troupes coloniales et des gendarmes français lors de ce massacre dans le camp de Thiaroye où ils étaient rassemblés.

Un bilan sans doute très largement sous-évalué, affirment ces chercheurs, pour qui les "estimations les plus crédibles avancent les chiffres de 300 à 400" morts.

L’archéologie au service de la mémoire

Au cours de fouilles archéologiques ordonnées par l’État sénégalais et effectuées depuis début mai, des squelettes humains portant des balles dans le corps dans le cimetière de Thiaroye ont été retrouvés. Les chercheurs ont précisé que certains squelettes, présentant des "insignes militaires", "portent des traces de violences faites avec différentes armes".

Le corps français des "Tirailleurs sénégalais", créé sous le Second Empire français (1852-1870) et dissous dans les années 1960, rassemblait des militaires des anciennes colonies françaises d'Afrique :  Sénégal, Soudan (actuel Mali), Haute-Volta (Burkina Faso) et Côte d’Ivoire.

Le terme de "tirailleur sénégalais" a fini par désigner l'ensemble des soldats d'Afrique qui se battaient sous le drapeau français. Ils ont participé aux deux Guerres mondiales et aux guerres de décolonisation.

Pas d’archives de l’armée française 

Pour l'historien sénégalais Mamadou Diouf, président du comité de chercheurs qui a remis le livre blanc, "il y a eu, autour de Thiaroye, une entreprise délibérée française de dissimulation, de manipulation de l'information et surtout du refus de raconter l'Histoire", a-t-il dénoncé vendredi. Il a souligné que les tirailleurs rassemblés au camp de Thiaroye s'étaient battus pour le paiement de leurs soldes, mais aussi "pour leur dignité", "pour qu'on les respecte et qu'on les traite comme les soldats français".

Ces chercheurs ont critiqué le fait que la liste des noms de ces 1 300 tirailleurs ne leur ait jamais été communiquée. "Les Français disent que cette liste n'existe pas", a déploré M. Diouf, qui regrette que des dossiers d'archives "ne soient toujours pas accessibles".

Réagissant vendredi à la publication du Livre blanc, le chef de la diplomatie française Jean-Noël Barrot avait indiqué que la France était prête “à coopérer avec le Sénégal [...] pour que les travaux de recherche puissent éclairer ce qui s'est passé ce jour-là".

"La France ne détourne pas les yeux de sa propre histoire et a engagé avec le Sénégal, mais aussi avec un certain nombre d'autres pays africains, un travail de mémoire", a-t-il poursuivi.