De la division au dialogue: un dirigeant syrien promet l’unité face aux clivages confessionnels

Les intervenants du TRT World Forum 2025 appellent à rejeter le “confessionnalisme” à la libanaise en Syrie, afin de bâtir des institutions inclusives, d’élargir la liberté des médias et d’offrir réparation aux familles des milliers de disparus.

La table ronde s’est concentrée sur le problème le plus tenace de la Syrie : la fragmentation. / TRT World

Kazim Alam - TRT World

Il y a un an, Hamza al Mustafa, alors universitaire et chercheur syrien, s’était adressé à une assemblée prestigieuse à Istanbul pour évoquer les fractures de sa patrie déchirée par la guerre. À cette époque, l’avenir de la Syrie restait incertain, et le spectre de la désintégration planait. Les réflexions de Mustafa au TRT World Forum 2024 traduisaient son inquiétude.

Vendredi, Mustafa est revenu à l’édition 2025 du Forum dans un nouveau rôle : celui de ministre de l’Information du gouvernement syrien post-Assad, chargé de réformer le paysage médiatique.

“Je suis ici pour représenter ma nouvelle Syrie… En quatorze ans de conflit civil, notre pays a connu de profondes divisions. Le régime déchu a exploité ces divisions comme une stratégie de survie”, a-t-il déclaré lors d’un panel intitulé “L’aube nouvelle de la Syrie : tracer la voie vers la reconstruction et la stabilité”.

Mustafa représente le Gouvernement de transition syrien dirigé par le président Ahmed al Sharaa, en place depuis la chute du régime Assad en décembre 2024, à la suite d’une offensive éclair des forces d’opposition. Ce gouvernement agit sous le cadre d’une déclaration constitutionnelle provisoire couvrant une période de transition de cinq ans.

La discussion, qui a attiré un large public de diplomates, chercheurs et militants, portait sur le problème le plus tenace du pays : la fragmentation.

Pendant des décennies, sous le règne autoritaire du régime Assad, la Syrie avait été façonnée pour se diviser selon des lignes confessionnelles, ethniques et communautaires. L’ère Assad fut marquée par des atrocités de masse — crimes de guerre, disparitions forcées, torture — laissant de profondes cicatrices dans la société. Le pouvoir et les ressources étaient concentrés entre les mains d’une étroite élite alaouite, tandis que les sunnites, druzes et autres groupes étaient marginalisés.

Le professeur Talha Köse, président de l’Académie nationale du renseignement de Türkiye, a souligné que le système de gouvernance syrien sous Assad avait été “conçu pour être fragmenté”.

“C’était un système de division et de domination”, a-t-il déclaré, notant que tout le pouvoir et les ressources étaient réservés à un seul groupe.

“Les autres ont été réduits au silence. Leur identité et leurs droits n’ont jamais été reconnus. Cela a généré une profonde méfiance au sein de la population”, a-t-il ajouté.

Köse a exhorté le nouveau gouvernement syrien à ne pas répéter l’erreur du Liban, qui a institutionnalisé les quotas confessionnels et enfermé la société dans un carcan communautaire propice à de nouveaux cycles de guerre civile.

Dans le système libanais, le pouvoir politique et institutionnel est réparti proportionnellement entre les communautés religieuses.

“La Syrie ne doit pas institutionnaliser les divisions confessionnelles comme le Liban l’a fait par le passé”, a-t-il mis en garde.

Il a appelé à créer des institutions inclusives — politiques, sociales, éducatives, religieuses et même militaires — afin de reconstruire la Syrie : “Il faut institutionnaliser cette inclusivité de tous les groupes. Ce sera difficile, car la méfiance reste forte, mais elle ne peut être surmontée que progressivement”, a-t-il insisté.

Répondant au nom du gouvernement de transition de Sharaa, Mustafa a affirmé que la Syrie suivrait une voie différente de celle du Liban.

“Les forces étrangères ont toujours cherché à diviser la Syrie en petits fragments”, a-t-il déclaré, évoquant le mandat français du siècle dernier, période durant laquelle les découpages coloniaux ont semé les premières discordes.

“Mais les Syriens se sont réunifiés après la fin du mandat français”, a-t-il rappelé.

Il a ajouté que, malgré les prédictions récentes d’une “balkanisation” du pays, le peuple syrien, lassé des décennies de politique de division du régime Assad, avait choisi l’unité plutôt que la désunion.

“Le peuple syrien a décidé d’emprunter la voie de l’unité après des décennies de politique du ‘diviser pour régner’”, a-t-il indiqué.

Le gouvernement Sharaa organise désormais des dialogues intercommunautaires, construit des institutions transversales pour atténuer les anciennes allégeances et mène une action collective contre les tentatives de sabotage extérieures.


Vers la reddition de comptes et une presse indépendante

La discussion s’est ensuite tournée vers le rôle des médias dans la réparation des divisions anciennes, alors que le régime Assad avait largement utilisé la propagande pour asseoir son pouvoir.

Mustafa, qui étudiait autrefois ces mécanismes en tant que chercheur, supervise désormais le démantèlement du réseau de désinformation du régime.

“Les médias sous Assad étaient des instruments de propagande et de manipulation”, a-t-il expliqué.

Au moment de la chute du régime, en 2024, il ne restait plus que sept médias indépendants, tous opérant en exil, a-t-il précisé.

Mais le nouveau gouvernement entend garantir la pleine liberté d’action des médias indépendants.

Le ministre a cité, à titre d’exemple, la réception de plus de 600 demandes d’ouverture de médias privés et indépendants.

“En tant que gouvernement, nous avons décidé d’élargir autant que possible la marge de liberté”, a-t-il affirmé.

La question de la responsabilité a également occupé une place centrale, notamment celle des personnes disparues — des dizaines de milliers de Syriens portés disparus dans les centres de torture du régime.

Karla Quintana, secrétaire générale adjointe de l’ONU et directrice de l’Institution indépendante sur les personnes disparues en Syrie, a souligné : “Il y a un an, personne n’aurait imaginé que nous serions ici à parler de la recherche des disparus, avec des Syriens”.

Elle a ajouté que, depuis la chute du régime, les témoignages affluaient : chauffeurs de taxi, serveurs, passants — “chacun connaît quelqu’un qui a disparu”.

Dans un pays d’environ 22 millions d’habitants, presque aucune famille n’est épargnée. L’institution qu’elle dirige collabore désormais avec la nouvelle commission nationale syrienne sur les disparus.

“La recherche des disparus doit être pensée comme un effort collectif”, a-t-elle souligné.

Enfin, s’exprimant en arabe, Houda Atassi, présidente et cofondatrice de la International Humanitarian Relief Foundation, a rappelé que les organisations civiles étaient auparavant incapables d’agir dans les zones contrôlées par le régime Assad.

“Aujourd’hui, toutes les organisations humanitaires peuvent contribuer librement à la reconstruction de la Syrie, sans crainte”, a-t-elle conclu.

SOURCE: TRT World