Référendum sur la Constitution en Tunisie : cartographie des positions (Reuters)

La campagne référendaire a démarré, dimanche, sans pour autant enregistrer de manifestations populaires d'envergure ou des rassemblements de partis politiques qui y sont favorables, sur fond d'une polarisation aiguë générée par la crise politique que traverse le pays, depuis que le président de la République Kaïs Saïed a pris une série de mesures d'exception.

Le président tunisien a appelé ses concitoyens, jeudi, par voie de communiqué, à voter par « Oui » au projet de la Constitution.

Il a indiqué, dans une lettre mise en ligne sur la page « Facebook » de la présidence tunisienne, qu’il n’y a « aucune crainte pour les droits et les libertés si les textes de loi sont élaborés par la majorité, sous la surveillance populaire, que ce soit au sein de la Chambre des députés ou dans le Conseil des Régions et des Territoires ».

« Celui qui a été marginalisé va recourir à l’élaboration de textes de loi, qui le feront sortir du champ de la marginalisation et de l’exclusion », a-t-il ajouté.

Composé de 142 articles, le projet en question accorde de larges prérogatives au président de la République, contrairement à la Constitution de 2014 qui prévoyait un régime semi- parlementaire.

Selon le draft, le régime de la République de l'État tunisien est un régime républicain et le président de la République désigne le chef du gouvernement et ses membres, sur proposition de ce dernier.

De même, le président de la République met fin au mandat du gouvernement ou à chacun de ses membres, soit directement ou encore sur proposition du chef du gouvernement.

Le président n'est pas, non plus, responsable des actes accomplis dans le cadre de son mandat, selon le projet.

La scène politique et associative tunisienne est scindée entre un camp qui rejette la participation au référendum et un second qui la soutient, tandis que l'Union générale tunisienne du travail (UGTT, principale organisation syndicale) a laissé à ses membres la liberté de choisir et de déterminer leur position.

Des forces de premier plan hostiles

Le « Front du Salut national », sous la conduite de l'opposant et président de l'Instance politique du parti « L'Espoir », Ahmed Néjib Chebbi, représente la principale force politique qui rejette le processus du 25 juillet 2021 dans son intégralité, y compris le référendum.

Depuis cette date, Kaïs Saïed a imposé une série de mesures d'exception, s'agissant notamment du limogeage du gouvernement, de la dissolution du Parlement et du Conseil supérieur de la Magistrature, tout en légiférant par voie de décrets-lois, et en organisant des élections législatives anticipées, le 17 décembre prochain.

Le Front du Salut national a appelé, mardi, à boycotter le référendum, considérant que le projet de la Constitution proposé constitue « une régression qui menace de faire revenir le pays au pouvoir individuel absolu », dont la Tunisie a souffert depuis plus de cinq décennies.

Le Front en question est composé de cinq partis. Il s'agit d'Ennahdha (53 députés sur 217 du Parlement dissous), de « Qalb Tounes » (28 députés), de la « Coalition de la Dignité » (18 députés), du Mouvement de « La Tunisie la volonté » et du parti « L’Espoir », ainsi que la campagne des Citoyens contre le coup d'État et plusieurs autres parlementaires.

La « Campagne nationale pour faire avorter le référendum », qui a des tendances de gauche, a appelé, à son tour, à boycotter le référendum.

C'est ce qui ressort d'une conférence de presse organisée mardi à Tunis par la « Campagne », qui compte en son sein cinq partis politiques. Il s'agit du Parti républicain, du Courant démocrate (22 députés), du FDTL (social-démocrate), du Parti des Travailleurs et du Pôle (gauche).

Issam Chebbi, secrétaire général du Parti Républicain, a, au cours de la conférence, appelé « les Tunisiens à nouveau à boycotter le référendum, et à ne pas y participer de quelque façon qu’elle soit, dans la mesure où toute participation va conférer une légitimité au processus ».

Il a ajouté : « Nous faisons face à l'installation d'un pouvoir et d'un régime présidentiel inédit. Cette constitution a abrogé la majorité des instances constitutionnelles, porté atteinte à l'indépendance du pouvoir judiciaire et au caractère civil de l'État, un des principaux acquis de la Constitution de 2014 ».

De même, le « Processus démocratique social » (gauche) a exhorté ses « membres et l'ensemble des citoyens à ne pas voter au référendum pour éviter de conférer une légitimité à une conception mystérieuse et dépourvue de transparence », dans une allusion faite au projet de la nouvelle Constitution.

Le parti de la « Volonté populaire » a, à son tour, appelé, dans un communiqué publié, mardi, « le peuple tunisien, les partis, les organisations et les forces vives de la Nation à rejeter le projet de la nouvelle Constitution et à boycotter le référendum ».

Le parti de « l'Action et des Réalisations » a considéré, lundi, que « le projet de la Constitution comprend une volonté d'instaurer un régime basé sur l'autorité de l'individu, en faisant peu de cas du peuple tunisien et de son histoire et en marginalisant les institutions, tout en portant atteinte à l'indépendance de la justice ».

Dans un communiqué rendu public, le parti, nouvellement créé, a annoncé son « boycott du référendum », le considérant comme étant « illégitime », dans la mesure où il assoit une autorité despotique et aboutira à l'imposition d'une Constitution qui portera atteinte au peuple et aux opposants ».

Des petits partis favorables

Pour sa part, le « Mouvement du Peuple » (Nassérien, 15 députés) a appelé à participer au référendum et à voter par « Oui ».

Le secrétaire général du Mouvement, Zouheir Maghzaoui, a indiqué que sa formation votera en faveur du projet de la nouvelle Constitution.

Dans des déclarations faites à un média local, Maghzaoui a salué la mention de la question de l'identité et celle des libertés individuelles et publiques dans le projet de la nouvelle Constitution, qu'il considère comme « meilleur » que la Loi fondamentale de 2014.

De même, le parti du « Courant populaire » (Nassérien, sans députés) a appelé, au cours d'une conférence de presse animée mardi, à voter favorablement au référendum.

Dans le même ordre d'idées, le parti de « l'Alliance pour la Tunisie », a, dans un communiqué rendu public mardi, exhorté les Tunisiens à « continuer à soutenir le processus de restauration, à travers le soutien du référendum et le vote par Oui ».

À l'opposé, le parti « Afek Tounes » (Libéral, deux députés) a, tout en participant au référendum, appelé « à voter par Non ».

Le parti, présidé par Fadhel Abdelkéfi, a, dans un communiqué, indiqué que « le projet de la Constitution de Saïed est un danger imminent et n'est que le prolongement naturel et prévu du processus exclusif avec un bilan catastrophique ».

Plusieurs forces politiques et civiles tunisiennes rejettent ces mesures qu’elles considèrent comme étant un « coup d’État contre la Constitution », alors que d’autres forces les considèrent comme étant une « restauration du processus de la révolution de 2011 », qui avait fait chuter l’ancien président Zine El Abidine Ben Ali (1987-2011).

De son côté, Saïed estime que ses mesures interviennent « dans le cadre de la Constitution pour protéger l'État d'un danger imminent », mettant l'accent sur « l'intangibilité des libertés et des droits ».

L’UGTT et le SNJT

L’UGTT a annoncé, samedi, à l’issue d’une réunion de sa Commission administrative, avoir laissé la liberté de choix à ses adhérents pour participer ou boycotter le référendum.

Le secrétaire général de la centrale syndicale, Noureddine Taboubi a indiqué que « compte tenu de la diversité qui caractérise l’UGTT et la famille syndicale, l'Union a décidé de déléguer à chacun et à ceux qui partagent nos visées, la liberté de choisir et de participer au référendum ou pas ».

De son côté, le Syndicat national des journalistes tunisiens (SNJT) et bien qu'il n'ait pas appelé au boycott du référendum, a fait part, mardi, de son rejet du projet de la Constitution.

Le SNJT a souligné, dans un communiqué, « refuser le projet de la Constitution soumis au référendum et mettre en garde contre sa gravité, dans la mesure où ce texte ne satisfait pas aux principes de la liberté d'expression et de la presse, aux droits et libertés et à l'indépendance de la justice ainsi qu’à la séparation et à l'équilibre des pouvoirs ».

AA