"L’ accord franco-britannique ne fera qu'augmenter les risques de traversées mortelles" (ONG)

"L’ accord franco-britannique ne fera qu'augmenter les risques de traversées mortelles" (ONG)

William Feuillard, de l'association calaisienne "L'Auberge des Migrants" a répondu aux questions de l'Agence Anadolu (AA).
"L’ accord franco-britannique ne fera qu'augmenter les risques de traversées mortelles" (ONG) (Others)

L'accord signé lundi entre la France et le Royaume-Uni pour lutter contre le passage illégal des migrants, aura pour seule conséquence d'augmenter les risques de traversées mortelles de la Manche pour les exilés, selon une organisation non gouvernementale (ONG) française.

Interrogé par l'Agence Anadolu (AA), William Feuillard, coordinateur de huit associations locales du Calaisis apportant leur soutien aux personnes migrantes, dont "L'Auberge des Migrants", a déploré les réponses politiciennes apportées à la question des migrants en France et Europe.

Constatant que cet accord "se traduit, encore une fois, par une augmentation du dispositif sécuritaire, toujours dans la logique de plus de police", William Feuillard a estimé que cette doctrine du "tout sécuritaire" est, une fois de plus, vouée à l'échec.

Rappelant le naufrage d'un bateau de migrants dans la Manche, en novembre 2021, qui avait coûté la vie à un minimum de 27 personnes, le responsable associatif se souvient que "des mesures ont été prises, avec de nouveaux moyens techniques, des avions, etc.

"Ça n'a servi à rien du tout. Les personnes continuent à prendre le bateau parce qu'on ne répond pas au fond du problème", a-t-il constaté, avant de souligner que "ce n'est pas en impliquant plus de police que les gens vont arrêter de tenter de traverser la Manche... Ils vont quand même continuer à essayer de commencer leur vie", a-t-il estimé.

Décrivant "l'illusion" dans laquelle se trouvent les États français et britannique, il note que ceux-ci tentent de "s'auto-convaincre qu'ils vont pouvoir maîtriser l'ensemble de la frontière" et des points de passage du littoral franco-britannique.

Des "hot spots" comme un port, comme une gare de train, c'est facile à sécuriser : on sait que les gens y viennent par un seul endroit, explique le responsable associatif. "Par contre, le passage en bateau [vers l'Angleterre], c'est de la Belgique jusqu'à la baie de Somme. Il s'agit de plus de 200 kilomètres de côtes. Et là, plus on augmentera les moyens sécuritaires, plus les gens vont prendre de risques", souligne-t-il.

Il rappelle que les principaux points d'accès à la mer étant sécurisés, les personnes migrantes vont partir de plus loin.

"Donc ça veut dire des traversées plus longues, plus dangereuses", conclut-il.

"Et on voit cette année déjà plus de 40 000 traversées en bateau entre la France et le Royaume-Uni principalement", note-t-il en référence aux chiffres officiels annoncés récemment par Londres.

"C'est un record. À ce rythme-là, on va continuer à avoir des records de traversées, des drames qui vont se produire, et qu'on va, malheureusement, [seulement] pouvoir identifier en retrouvant les cadavres", déplore-t-il.

Et le responsable associatif d'ajouter : "On sait que la Manche, c'est une des mers les plus pratiquées du monde, aux routes commerciales, avec des courants qui emportent vers le nord. Qui sait le nombre de personnes qui sont mortes et dont on n'a pas retrouvé les corps", interroge-t-il avant de rappeler qu'au moins "355 personnes migrantes ont perdu la vie dans la Manche depuis le début des années 2000".

Depuis 2014, au moins 203 personnes sont mortes ou ont été portées disparues, en mer ou sur terre, en tentant de rejoindre l’Angleterre au départ du littoral nord de la France.

"On sait que ce n'est pas le chiffre définitif et que d'autres personnes sont forcément décédées. Mais c'est déjà trop. En fait. C'est déjà trop", souligne William Feuillard, coordinateur de huit associations locales du Calaisis apportant leur soutien aux personnes migrantes, dont "L'Auberge des Migrants".

Accord franco-britannique

Pour rappel, la France et le Royaume-Uni ont signé, lundi, un nouvel accord pour renforcer la coopération bilatérale dans la lutte contre les traversées illégales des migrants par la Manche.

Cet accord, qui s’inscrit dans le cadre du traité de Sandhurst, signé en janvier 2018 entre les deux pays, prévoit que Londres verse une somme de 72,2 millions d’euros en 2022-2023 à la France. En contrepartie, Paris fera passer de 800 à 900 ses effectifs de sécurité sur les plages françaises, d’où partent les exilés à destination du Royaume-Uni.

Selon le texte de l'accord, le Royaume-Uni et la France se sont fixé pour objectif de déployer "des ressources technologiques et humaines", dont des drones, sur le littoral français pour mieux détecter, surveiller et intercepter les bateaux.

Cependant, aucun objectif chiffré d’interceptions de bateaux, comme l'avait souhaité Londres, n’apparaît dans le document signé lundi à Paris par Gérald Darmanin, le ministre de l’Intérieur français, et Suella Braverman, son homologue britannique.

"Ce n’est qu’en travaillant ensemble que nous pouvons espérer résoudre ce problème complexe. Je voulais remercier Gérald et son équipe pour leur travail et leur coopération", a tweeté le même jour, en français, la ministre britannique de l'Intérieur.

L’accord survient au lendemain de l’annonce par le ministère de la Défense du Royaume-Uni d’un nombre de 40 000 migrants ayant traversé la Manche depuis le début de l’année, soit un record selon Londres, après le précédent record de 2021.

En 2021, les tentatives de traversées des migrants, généralement par bateaux pneumatiques, au départ du littoral nord entre Calais et Dunkerque, avaient également atteint un record, avec plus de 52 000 personnes l’ayant tentée et 28 526 d'entre elles l’ayant réussie, selon les données du ministère français de l'Intérieur.

Le 24 novembre 2021, 27 migrants avaient été tués et 4 autres étaient portés disparus, lors du naufrage de leur bateau au large de Calais, le pire drame enregistré dans la Manche.

AA